Dans le secteur de l’alimentation animale, la conformité réglementaire est un pilier incontournable : qu’il s’agisse d’aliments pour volailles, porcs, ruminants, poissons ou animaux de compagnie, chaque produit mis sur le marché européen doit répondre à un ensemble d’exigences complexes.

Face à la complexité du cadre européen, de plus en plus de metteurs en marché testent aujourd’hui les capacités de l’intelligence artificielle (IA) pour générer leurs documents réglementaires : étiquetage, fiches produit, allégations, voire dossiers de mise sur le marché.

Pourtant, l’IA n’est pas (encore) en mesure d’assurer la conformité exigée par les règlements européens.

Chez Djinco, nous avons récemment accompagné un client metteur en marché d’un nouvel aliment complémentaire pour les chiens. Bien que ce client ait fait appel à l’IA pour vérifier la conformité de l’étiquetage et des allégations, l’audit réglementaire a mis en évidence plusieurs points nécessitant une révision afin de garantir la conformité de la mise en marché.

Cet exemple illustre une tendance croissante : l’IA peut accélérer la documentation, mais ne remplace ni la compréhension scientifique ni l’interprétation réglementaire humaine.

 

Le cadre réglementaire européen des aliments pour animaux

L’Union européenne encadre strictement la production, la mise sur le marché et l’étiquetage des aliments pour animaux. Les principaux textes de référence sont :

  • Règlement (CE) n° 178/2002 : principes généraux de la législation alimentaire et sécurité des denrées et aliments pour animaux.
  • Règlement (CE) n° 183/2005 : exigences d’hygiène pour les exploitants du secteur.
  • Règlement (CE) n° 767/2009: mise sur le marché et utilisation des aliments pour animaux.
  • Règlement (CE) n° 1831/2003 : autorisation et usage des additifs.
  • Règlement (UE) n° 68/2013, mis à jour par le règlement (UE) n°2022/1014 : catalogue des matières premières pour aliments des animaux.
  • Règlement (UE) n° 2020/354 : aliments destinés à des fins nutritionnelles particulières (dits “diététiques”).

Définitions clés

  • Aliment composé : mélange d’au moins deux matières premières, comprenant ou non des additifs, destiné à l’alimentation animale par voie orale.
  • Aliment complet : assure à lui seul la ration journalière.
  • Aliment complémentaire : a une teneur élevée en certaines substances, mais doit être associé à d’autres aliments pour constituer une ration équilibrée.

Ces définitions sont issues du Règlement (CE) 767/2009, et conditionnent la manière de formuler, d’étiqueter et de commercialiser tout produit. 

Pourquoi l’IA séduit les metteurs en marché 

L’IA semble offrir des gains de temps et d’efficacité. Quelques exemples :

  • Génération rapide de fiches techniques et d’étiquettes 
  • Vérification de la conformité d’ingrédients
  • Rédaction de dossiers de preuves et allégations
  • Structuration de documents réglementaires

Sur le papier, ces outils semblent faciliter l’accès à la conformité.
Mais en pratique, ils se heurtent à la complexité du droit européen : un corpus vivant, précis, et qui exige une interprétation contextualisée qui demande une lecture experte et actualisée.

 

Les limites de l’IA en réglementation feed (périmètre UE)

  1. Une base réglementaire mouvante et hétérogène

Les modèles d’IA s’appuient sur des corpus textuels partiellement à jour.


Or, la réglementation européenne évolue en continu : révision des autorisations d’additifs, mise à jour du catalogue des matières premières ou des matières premières listées au Feed Material register, actualisation de la liste des aliments pour animaux visant des objectifs nutritionnels particuliers…    

Un outil d’IA ne peut garantir ni la version la plus récente des règlements, ni la parfaite compréhension des subtilités de certaines matières premières. Certaines entrées au catalogue regroupent en réalité un grand nombre de matières premières de nature ou forme chimique différentes (par exemple : l’entrée 13.1.9 « Produits de la transformation de plantes » qui regroupe des matières premières très diverses, sans pour autant que toutes les plantes ou parties soient autorisées en alimentation animale). 

L’IA, dépourvue de discernement chimique ou botanique, ne peut évaluer si une forme, un extrait ou un procédé d’obtention est conforme.

  1. Mauvaise distinction entre catégories réglementaires

L’IA confond fréquemment :

  • La catégorie réglementaire exacte du produit : prémélange, aliment complémentaire ou aliment complet 
  • Matière première et additif, où la frontière est parfois difficile à déterminer
  • Aliment à standard et aliment diététique.
  1. Allégations et preuves scientifiques

Les allégations du type « stimule le système immunitaire » ou « soutient l’équilibre du microbiote » relèvent d’un équilibre délicat entre communication et réglementation. Toute allégation doit être loyale, vérifiable et fondée sur des preuves scientifiques adaptées à l’espèce et à la dose utilisée.

Une allégation ne doit jamais reprendre ni impliquer un “objectif nutritionnel particulier” du règlement 2020/354, sous peine de faire entrer le produit dans le champ des aliments diététiques.

Formuler une allégation non conforme n’est pas anodin : au-delà du risque réglementaire, cela peut constituer une pratique commerciale trompeuse, au sens du Règlement (CE) 767/2009 et du Code de la consommation (article L121-2).

Une allégation non justifiée ou scientifiquement fragile peut être considérée comme frauduleuse, entraînant retrait du produit, amende ou suspension d’activité.


En alimentation animale, l’allégation engage directement la responsabilité du metteur en marché, identifié comme responsable de l’étiquetage sur le produit.


Ainsi, un simple excès de vocabulaire marketing (“stimule”, “soigne”, “prévient une maladie”) peut faire requalifier le produit en médicament vétérinaire, avec des conséquences lourdes : procédure ANMV, retrait immédiat du marché et atteinte à la réputation de la marque.

 

  1. Absence de justification

La conformité repose sur la capacité à prouver chaque décision : statut des ingrédients, justification analytique, etc.
Une IA générative ne fournit pas d’audit trail clair : références pas toujours vérifiées, pas de version du texte, pas de source officielle.
En cas de contrôle, la responsabilité incombe toujours à l’entreprise, pas à l’algorithme.

  1. Risque d’“hallucinations” réglementaires

Il n’est pas rare que l’IA invente :

  • des numéros d’articles inexistants,
  • des seuils nutritionnels arbitraires,
  • ou des formulations interdites 

Ces erreurs, difficiles à détecter sans expertise, peuvent exposer le metteur en marché à une non-conformité majeure.

Exemple concret : un aliment complémentaire corrigé chez Djinco

Un metteur en marché d’un nouvel aliment complémentaire nous a récemment consultés après avoir utilisé un outil d’IA pour générer une “vérification réglementaire” complète.


À l’examen, plusieurs points ont nécessité une révision :

  • Statut d’un ingrédient : la forme minérale utilisée n’était pas autorisée en feed. 
  • Conformité des extraits de plantes : le metteur en marché n’avait pas vérifié que les substances aromatiques utilisées répondaient bien aux exigences de la réglementation 1831/2003 en termes d’actifs et méthodes d’analyses associées. 
  • Autorisation de mise sur le marché : le fabricant était enregistré en nutrition mais l’intermédiaire de vente ne l’était pas.
  • Vérification des allégations du packaging et de la présentation commerciale au regard du dossier technique du fournisseur et des références bibliographiques disponibles sur internet. Certaines allégations ont été nuancées. 

Après vérification et reformulation, le produit a été entièrement remis en conformité et prêt à être commercialisé, ce que l’IA n’avait pas permis d’atteindre.

 

Ce que l’IA peut (et ne peut pas) faire dans le feed

Ce que l’IA peut (et ne peut pas) faire dans le feed

✅ Utile pour :
• générer des brouillons d’étiquettes ou de fiches produits
• assister à la mise en forme de documents techniques
• aider à la recherche de textes ou de mots-clés réglementaires.

❌ Inadéquate pour :
• valider la conformité d’un produit
• déterminer le statut exact d’un ingrédient ou additif
• interpréter une allégation à la frontière du médicament
• assumer une responsabilité réglementaire en cas de contrôle.

 

Bonnes pratiques pour un usage raisonné de l’IA en alimentation animale

  1. Limiter l’IA à une fonction d’assistance. Elle peut structurer, jamais valider.
  2. Préciser les requêtes (ex. : “feed – EU – règlement 767/2009”) dans chaque requête. Ne pas hésiter à importer les documents sources à jour. 
  3. Faire systématiquement valider les contenus par un expert réglementation.
  4. Tenir à jour les textes de référence internes. 
  5. Documenter les sources et conserver les références officielles 
  6. Former et sensibiliser les équipes à la réglementation et aux limites des outils IA..

 

Conclusion

L’intelligence artificielle représente un formidable outil d’accélération, mais certainement pas un outil de validation.

Dans un environnement aussi strict que celui de l’alimentation animale européenne, elle ne peut remplacer ni la lecture critique des règlements, ni la compréhension scientifique et juridique qu’exige chaque produit.

Le cas que nous avons traité chez Djinco le prouve : l’IA peut proposer, mais seul l’expert garantit.
Aujourd’hui, la conformité réglementaire reste une affaire d’expertise humaine, rigoureuse, traçable et adaptée à chaque marché.

Demain, la réussite passera par une approche hybride : IA pour la productivité, humain pour la fiabilité.
Et pour naviguer dans cette complexité, s’entourer d’un partenaire comme Djinco, c’est choisir la rigueur scientifique et la sérénité réglementaire.